Elyes Kasri: Eléments de stratégie et de communication, suite à la visite de la délégation Américaine à Tunis

Voici un article “Point de vue” par Elyes Ksari, ex Ambassadeur de Tunisie à Seoul, New Delhi, Tokyo et Berlin. DG Amériques-Asie et Afrique

La rubrique “Point de vue” propose a des auteurs indépendants une expression libre qui ne représente pas forcement les positions de notre fondation et qui n’engagent que leurs auteurs

Le message transmis au président Kais Saied par la délégation américaine composée notamment du premier adjoint du conseiller pour la sécurité nationale et l’assistant du secrétaire d’état pour le proche orient et la lettre écrite adressée par le président Joe Biden a son homologue tunisien devraient être pris très au sérieux car au-delà du ton diplomatique d’usage, ils révèlent un début d’impatience de l’administration américaine à l’égard des décisions prises et de la cadence des mesures attendues nationalement et internationalement pour faire face au danger imminent qui a motivé le recours à l’article 80 de la constitution et l’annonce et la mise en œuvre de la feuille de route en vue du rétablissement du fonctionnement normal des institutions quitte à engager les réformes rendues nécessaires par la paralysie et le dévoiement de ces institutions.

Dans le compte rendu fait par la Maison Blanche, trois passages sont à retenir principalement (extraits du communiqué officiel américain pour éviter tout contre sens ou glissement de sens causé par une éventuelle traduction).

  1. urging a swift return to the path of Tunisia’s parliamentary democracy.
  2. the urgent need to appoint a prime minister designate who would form a capable government able to address the immediate economic and health crises facing Tunisia.
  3. Empowering a new government to stabilize the economy will also create space for an inclusive dialogue about proposed constitutional and electoral reforms in response to the widely expressed demands of many Tunisians for improved living standards as well as honest, effective, and transparent governance.

Cette démarche américaine fait suite aux longs entretiens téléphoniques avec la vice-présidente Kamala Harris, le secrétaire d’état Anthony Blinken et le conseiller pour la sécurité nationale Jake Sullivan et dénote une impatience américaine croissante et l’avance prise aux Etats Unis par la communication et la propagande islamiste et d’Ennahdha car tout en accordant une certaine marge de manœuvre aux réformes requises et promises par le président Saied, le message américain reprend les principaux arguments d’Ennahdha de retour à la démocratie parlementaire (donc un refus d’un régime présidentiel)  et de dialogue national inclusif.

Evidemment, certains patriotes chatouilleux diraient que le peuple tunisien (allusion au président Kais Kais, bien que cet amalgame nécessiterait une plus ample clarification) peut et doit faire ce qu’il veut en toute souveraineté et qu’une puissance qui vient d’être défaite et a annoncé son retrait d’Afghanistan ne peut dicter les choix de la Tunisie, la voix de la raison dicterait de rappeler qu’au-delà du hard power militaire qui en fait la première armée du monde, les Etats Unis disposent d’une influence considérable au sein des institutions financières internationales et sur l’Europe surtout avec le rétablissement des ponts et la relance du partenariat stratégique annoncés par le président Joe Biden.

En tant qu’ancien diplomate à Washington et responsable des relations et de la coopération tuniso-américaines, je me permets, par pur patriotisme et sans prétendre a quoi que ce soit, de soumettre des éléments préliminaires d’une stratégie de communication aux Etats-Unis d’Amérique et accessoirement en Europe pour expliquer et défendre les choix faits par le président Kais Saied.

A l’instar des diplomates de ma génération, je me considère comme un soldat sans uniforme qui a eu l’honneur de servir la patrie sur plusieurs fronts derrière les lignes de l’ennemi non pas dans des conflits armés mais dans une lutte pour gagner les esprits et les cœurs au profit des priorités et intérêts nationaux.

Mon vif espoir est que ces propositions fassent l’objet d’une discussion approfondie et d’une mise en œuvre rapide et que les diplomates tunisiens qui en seront chargés (à la centrale et à l’étranger) seront traités avec autant de respect que les membres de nos forces armées car le moral et l’honneur sont des facteurs essentiels pour toute abnégation, motivation et sens du sacrifice.

Eléments de stratégie d’actions et de communication aux USA

1 – Mettre en place à Tunis, une cellule de préparation (traduction et rédaction) de documents et « position papers » sur les causes, la nature et la portée des décisions présidentielles et leurs échos en Tunisie et dans la région.

2 – Demander à notre ambassade à Washington de mobiliser nos consuls honoraires, nos amis dans la société civile (associations et personnalités amies), les universités, chambres de commerce et think tanks à travers les Etats Unis, en particulier dans la capitale américaine et les états de New York, Pennsylvanie, Géorgie, Floride, Californie, Texas et l’Illinois.

3 – Sensibiliser d’une manière particulière les amis de la Tunisie au Congrès et les inviter a adresser une lettre au Président Biden pour lui demander de soutenir le processus d’ajustement de la transition démocratique en Tunisie.

4 – Coordonner avec les réseaux hostiles aux frères musulmans (proches de l’Egypte, de l’Arabie Saoudite et des Emirats Arabes Unis) aux Etats Unis.

5 – Le ministre tunisien des affaires étrangères devra effectuer une visite de travail a Washington pour s’entretenir avec les responsables des départements d’état et du trésor ainsi que du conseil de sécurité nationale. Des entretiens devront être organisés avec les commissions de la chambre des représentants et du Sénat intéressés par la Tunisie (appropriations, relations étrangères, forces armées etc.…) et des think tanks. Des interviews devront être programmées avec le Washington Post, le New York Times et tout autre quotidien à grande circulation.

6 – Œuvrer a la programmation d’une visite officielle du président Kais Saied à Washington.

7 – Encourager des Associations et des centres d’études tunisiens a mettre en place des réseaux de contact et des relais aux USA pour disséminer des articles et analyses de nature a contrer la propagande islamiste sur la Tunisie.

8 – Encourager les Tunisiens installés aux Etats Unis à adresser des lettres a leurs « congressmen » à l’échelle locale et fédérale ainsi qu’à la presse locale pour donner une description véridique des événements en Tunisie (sur la base de documents qui leurs seront préparés à Tunis)

9 – A terme, penser a organiser des rencontres et débats à travers les Etats-Unis d’Amérique au profit de personnalités académiques et de la société civile de Tunisie afin de contrer la propagande islamiste.

10 – Il serait judicieux d’éviter toute position ouvertement anti-israélienne dépassant la position commune de la Ligue Arabe et celle de l’autorité palestinienne, unique représentant internationalement reconnu du peuple palestinien, afin d’éviter d’aliéner le lobby pro-israélien avec lequel Ennahdha entretient des relations de longue date. Faute de pouvoir mobiliser à nos côtes, le lobby pro-israélien aux Etats Unis, il serait utile d’éviter de donner des arguments a Ennahdha pour mobiliser ce puissant lobby contre les initiatives présidentielles.

Elyes Kasri, ex ambassadeur de Tunisie

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